Berlinale 2015, jour 3. Au-dessous du volcan.

« Ixcanul » de Jayro Bustamente. « Journal d’une femme de chambre » de Benoît Jacquot. « Victoria » de Sebastian Schipper. « Une jeunesse allemande » de Jean-Gabriel Périot.

Berlin, années de plomb

… Pour terminer, restons à Berlin, mais faisons un grand saut en arrière dans les années 70 avec le documentaire passionnant de Jean-Gabriel Périot, Une jeunesse allemande. Périot a choisi de retracer le parcours du groupe Baader-Meinhof et de ses membres et soutiens, en allant chercher dans les archives les traces qu’ils ont laissés. Or, il se trouve que ces traces sont éminemment cinématographiques car une partie de groupe est passé par l’école de cinéma nationale créée à la fin des années 60 à Berlin, qui va devenir quasi-instantanément un repère d’étudiants gauchistes radicaux. Tous vont faire des films, détournant les moyens de l’école pour élaborer un cinéma engagé dont l’influence principale est le groupe Dziga Vertov derrière lequel se cache un certain Jean-Luc Godard — dont la voix ouvre le documentaire.
Tandis que la journaliste Ulrike Meinhof multiplie les interventions à la télévision et s’affirme comme la théoricienne et l’intellectuelle tutélaire du mouvement, ces jeunes gens en colère dénoncent le Vietnam, le manque de démocratie en Allemande, la brutalité et la partialité de la police ou encore l’emprise d’Axel Springer sur la presse à travers des courts métrages provocateurs, naïfs, expérimentaux, ridicules ou inspirés — celui de la pochette d’allumettes est un superbe travail de montage et de surimpression.

Peu à peu, l’activisme de ces jeunes gens qui, au départ, veulent juste faire trembler les institutions vieillissantes d’une Allemagne qui a un peu trop vite tiré un trait sur son passé nazi, déborde dans les rues, à travers des manifestations que les autorités répriment. L’escalade commence, le mouvement se structure et la terreur s’installe. Mais même au pic de son intensité, quand des bombes explosent partout en Allemagne, la guerre est encore une guerre d’images. Celles de la télévision, plus que jamais dans son rôle d’épouvantail des masses, et celles, minoritaires, de ces ciné-tracts que chaque membre habite de sa façon singulière — Gudrun Ensslin en muse cinégénique, Andreas Baader en figurant de luxe.
Une jeunesse allemande parvient donc à rendre l’atmosphère fiévreuse et dangereuse de la période, mais interroge aussi les vertus et les limites de cette utopie du cinéma comme contre-pouvoir, capable de faire bouger les choses et de faire se soulever les masses. C’est évidemment un échec cuisant, une impasse, mais aussi un moment nécessaire d’une histoire dialectique qui consiste à questionner la démocratie sur ses errements et ses défauts — le film s’achève par le fameux extrait de L’Allemagne en Automne où Fassbinder terrorise sa mère pour lui montrer à quel point elle est prête à s’arranger avec les lois et les règles démocratiques quand cela l’arrange. Mais certains documents venus de l’autre côté sont assez troublants, car assez clairvoyant malgré leur portée propagandiste : ainsi de ce spot qui montre que le prolétaire n’existe pas, ou qu’en tout cas, il ne veut surtout pas qu’on le considère comme tel, préférant s’abrutir devant sa télévision une fois son travail terminé plutôt que de militer pour faire bouger le monde. Qui a dit que cela n'était pas d’actualité ?

 

Christophe Chabert
le petit bulletin
8 février 2015
http://www.petit-bulletin.fr/lyon/cinema-article-50476-Berlinale+2015,+jour+3.+Au-dessous+du+volcan..html